A l’occasion de sa venue en France en 2014, Fert a rencontré Haingoarison Randrianomanjanahary, Président de la Solidarité des intervenants sur le foncier (SIF) à Madagascar. Haingo est également administrateur de Fifata, partenaire de Fert depuis 25 ans.

1.       Pouvez-vous rapidement nous présenter la SIF ?

 La SIF est une plateforme nationale malgache créée en 2003 qui œuvre dans le domaine du foncier. C’est une organisation de la société civile qui vise à protéger les droits des paysans malgaches en interpellant les autorités sur des anomalies détectées dans les campagnes malgaches.

Elle regroupe aujourd’hui 27 membres de différents types parmi lesquels des organisations paysannes telles que Fifata, le  réseau Soa, des ONG ou des sociétés privées travaillant sur le foncier.

Elle a également pour mission de faire des propositions en matière de lois foncières. En 2005, plusieurs lois foncières auraient dû être mises en application mais peu ont finalement été jusqu’au décret d’application.

 

2.       Quels sont les moyens d’action de la SIF et son mode de fonctionnement ?

En termes de gouvernance, la SIF a un Comité exécutif (Comex), l’équivalent d’un Conseil d’administration, et un bureau constitué de 7 membres qui se réunit tous les 2 mois, malgré les difficultés de déplacement des élus localisés dans différentes régions. En tant que représentant de Vombo – organisation paysanne de la région Bongolava – j’ai été élu Président en 2010 pour deux ans, et réélu en 2012 pour un deuxième et dernier mandat.

La SIF compte également une équipe technique comprenant un coordinateur de formation juridique, deux juristes qui reçoivent les doléances des paysans, un économiste qui analyse les enquêtes de terrain, une chargée de communication, un agronome qui met en cohérence les activités sur le foncier et la problématique de sécurité alimentaire, et un informaticien.

Outre les cotisations de ses membres, la SIF compte également des partenaires comme le CCFD – Terre Solidaire (depuis 2009) ou la plateforme internationale ILC (International Land Coordination), et jusqu’à il y a peu, le programme Saha.

 

3.       En guise d’illustration, quels sont les types de dossier que vous traitez  ?

 

 

A titre d’exemple, un précédent vice premier ministre avait décidé de fermer des guichets fonciers (créés lors de la réforme foncière de 2005 qui a décentralisé le service foncier). La SIF a vivement réagi à l’annonce de cette nouvelle.

On peut également citer quelques situations particulièrement emblématiques de notre action sur le foncier à Madagascar :

 

 

  • Dans le district de Soalala – région Boeny, nous avons su via les médias qu’une société chinoise allait s’implanter dans la région pour exploiter les gisements de fer. Nous avons été sur place pour vérifier les informations médiatisées, et rencontrer les autorités locales. Nous avons notamment rencontré le chef de district mais aussi les maires des communes concernées qui n’étaient même pas informés du projet d’implantation. Nous avons donc entrepris de faires des états parcellaires afin de constituer un dossier de lobbying, l’Etat ignorant que des personnes vivent dans ces endroits et exploitent des terres ;
  • Bionexx, une société française produisant de l’Artemisia (plante médicinale) exploite un terrain d’environ 650 ha sur la commune de Faharetana, région Itasy. Les habitants de la zone concernée ont approché la SIF pour les accompagner dans leurs démarches et que la SIF soit médiateur afin de conserver leur droit d’accès aux terres, sur lesquelles certaines familles vivent depuis des générations ;
  • Dans cette même région Itasy, un colon français avait un terrain titré. Depuis son départ, aucune mise à jour n’avait été faite et des paysans exploitent aujourd’hui ces terres. Nous nous sommes rendus sur place pour faire des délimitations parcellaires et parler avec les paysans afin d’alimenter les autorités en données actuelles sur l’occupation du terrain mais surtout pour faire reconnaître l’existence d’exploitants agricoles sur place ;
  • Dans la région Anosy, la SIF réalise une médiation entre la population locale et la société QMM qui exploite l’ilménite [minerai de titane et de fer]. La société essaie de négocier avec la population locale mais s’en tient à la valeur superficielle du terrain (ex : comptage des plantes). La SIF ne s’en tient pas à la valeur du moment des terres mais à leur valeur dans l’absolu, sur le long terme. La société QMM elle-même est venue chercher les acteurs de la SIF pour leur compétence en termes de médiation.
L’objectif de toutes ces activités reste de pouvoir proposer aux autorités nationales qui dirigent le pays des éléments de lois foncières qui protègeront les malgaches et en particulier les agriculteurs malgaches dont la terre constitue le facteur de production essentiel.

4.       Comment la SIF est-elle interpellée par les paysans dans les localités ?

La SIF est désormais reconnue et sollicitée par mail ou par téléphone, au bureau de la SIF à Tananarive ou directement auprès des représentants des 27 membres.

De 2003 à 2010, les actions de la SIF se concentraient autour de la sensibilisation de la population. Dans le Bongolava par exemple, région connue pour ses mouvements migratoires importants, la SIF avait organisé avec Vombo, un événement sur le thème « Foncier et migration ».

 

 

 

 

 

Après 2010, la SIF a effectué un travail stratégique qui a fait évoluer la structure vers une plateforme de la société civile dédiée aux questions sur le foncier, ce qui lui confère une meilleure visibilité au niveau national sur cette thématique. Elle est désormais écoutée et entendue au niveau national. La SIF a ainsi contribué au Programme national sur le foncier (PNF) Acte 1 et est désormais intégrée au groupe de travail sur le PNF Acte 2. Pour preuve, lors des dernières élections présidentielles fin 2013, la SIF avait établi une charte sur le foncier à destination des candidats. Seuls deux l’ont signée, mais tous les candidats ont repris cette charte en totalité ou en partie dans leur programme électoral. Ainsi, parmi les premières décisions prises par le nouveau Président de la République élu fin 2013, le foncier figure comme une priorité ; le Président a ainsi suspendu jusqu’à nouvel ordre la vente de terrain appartenant à l’Etat malgache.