NEWS AFRIQUE SUBSAHARIENNE #26
Novembre 2023

NEWS

AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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Climat et gestion de l'eau

Du diagnostic aux solutions concrètes

Edito

Le changement climatique est une réalité désormais. Son impact, qui est à la fois durable et croissant au fil des années, doit faire l’objet d’une prise de conscience de la part de tous les producteurs. Il n’est pas spécifique à un pays en particulier, mais concerne bien l’ensemble des territoires où chacun rencontre des situations spécifiques.
Afin de pérenniser notre production, nous nous devons en tant qu’agriculteurs de collaborer afin d’outrepasser les phénomènes de sécheresse, d’inondation, ou d’érosion qui se multiplient. La mise en place d’analyses du territoire par le biais d’outils spécifiques est donc essentielle pour parvenir à des solutions concrètes. Evidemment, cela implique aussi une phase d’expérimentation, car c’est ainsi que l’on fait progresser l’agriculture. Il faudra à ce moment-là nous détacher de nos aprioris et de nos habitudes, ne pas craindre le changement.
Je souhaite insister sur l’importance que revêt la collaboration. C’est en nous organisant collectivement entre paysans qui ont les mêmes problématiques et qui intègrent toutes les structures techniques, que nous parviendrons aux meilleurs résultats. Il ne faut pas rester isolé, mais au contraire partager les bonnes pratiques et entraîner le maximum de producteurs dans cette transition. Ensemble et avec les efforts de chacun, nous parviendrons à faire face au défi que représente le réchauffement climatique et tout ce que cela implique, comme la gestion de l’eau.
Laurent Poupart, membre Fert, Président Groupama Nord Est, Administrateur Groupama, Président Action Solidarité Madagascar
Introduction

Climat et gestion de l'eau : quels enjeux pour les agriculteurs partenaires de Fert

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » nous disait Lavoisier dès le 18ème siècle. Ce précepte s’applique tout à fait à l’eau puisque sur Terre, celle-ci est limitée et répond à un cycle. Or avec le changement climatique, le cycle de l’eau est perturbé. Il y a donc un enjeu majeur à ce que chaque producteur parvienne à bien gérer ses ressources disponibles localement.
Le changement climatique influe sur le cycle de l'eau en modifiant les conditions météorologiques, les régimes de précipitations, les températures et la disponibilité de l'eau. En retour, les modifications du cycle de l'eau dues au changement climatique ont un impact sur la fréquence et l'intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, sur les écosystèmes aquatiques, sur les ressources en eau douce et sur la disponibilité de l'eau pour les êtres vivants et notamment les humains. Ces interrelations renforcent l'importance de comprendre et de gérer conjointement le cycle de l'eau et le changement climatique pour permettre durablement la vie sur Terre.
Pour les agriculteurs, ces changements nécessitent de s’adapter en adoptant des pratiques agricoles résilientes, et notamment en améliorant la gestion des ressources en eau. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Il ne s’agit pas seulement de pallier les baisses de pluviométrie par des prélèvements et du stockage… mais il faut réfléchir à avoir un usage plus raisonné de l’eau. Alors que l’accès à l’eau douce est de plus en plus difficile et que l’agriculture est le principal consommateur au niveau mondial, il faut concevoir des systèmes de production plus économes :
  • Des systèmes d’irrigation optimisés (la bonne quantité d’eau au bon moment selon les besoins de la plante) : avoir des matériels d’irrigation adaptés et utiliser des outils d’aide à la décision ;
  • Des plantes qui consomment moins (sélection de variétés plus précoces ou résistantes à la sécheresse, adaptation/avancement du calendrier de cultures et réflexion plus globale sur l’assolement avec des cultures plus économes en saison sèche par exemple) ;
  • Des pratiques favorisant la rétention de l’eau dans les sols et limitant l’évaporation de l’eau et l’assèchement (couvert/mulching et enherbement, agroforesterie - haies, réduction du travail du sol, enrichissement des sols en matière organique …).
Dans cette newsletter, vous découvrirez plusieurs expériences d’organisations de producteurs (OP) partenaires de Fert qui ont progressivement développé des solutions pour une gestion plus efficace de l’eau agricole.

Sensibiliser et poser un diagnostic des pratiques

Témoignage du groupe Fifata à Madagascar

L’organisation malgache Ceffel, OP spécialisée du groupe Fifata, expérimente et diffuse diverses solutions agronomiques pour résoudre les problèmes liés aux contraintes climatiques que rencontrent les paysans. Après avoir découvert en 2021 la démarche d’« évaluation des risques climatiques et de conception de l’adaptation » proposée par l’agri-agence finlandaise FFD dans le cadre de l’alliance internationale AgriCord, Ceffel et le groupe Fifata ont engagé un travail d’adaptation de cette démarche au contexte malgache. L’outil Climat a ainsi été créé pour permettre aux paysans de prendre du recul sur leur situation par rapport au changement climatique et d’étudier des pistes d’amélioration.

Un outil adapté au public paysan

L’outil Climat se veut simple, accessible et utile aux producteurs. Si le déroulé et les principes généraux de la démarche ont été respectés, l’outil malgache a été allégé par rapport à l’outil Building résilience proposé par FFD pour pouvoir être utilisé à l’échelle d’une OP de base (entre 15 et 25 agriculteurs) sur le terrain et être animé par un binôme de conseillers agricoles de proximité. Des supports ludiques ont été conçus afin de maintenir une attention et une dynamique de groupe forte.

Un atelier en 5 étapes

L’animation autour de l’outil Climat se décompose en 5 séquences courtes de travail :
1. Identification et priorisation des aléas climatiques (40 min) : les agriculteurs sont invités à retracer l’histoire climatique de leur zone (pluviométrie, cyclones, sécheresses…) en s’appuyant sur des données fiables et à identifier les aléas les plus fréquents.
2. Description des calendriers de production (20 min) : à l’aide d’une bâche et de cartes, les agriculteurs sont invités à établir les calendriers de production représentatifs de leur territoire et partager leurs expériences.
3. Représentation du territoire (20 min) : Les producteurs représentent sur une carte dessinée leur éléments qui structurent leur territoire (rivières, haies, routes…) et les points d’attention (risques de lessivage…)
4. La roue des aléas (30 min) : les producteurs font tourner une roue composée des aléas sélectionnés précédemment. Puis ils simulent les conséquences et impact de cet aléa sur leurs productions et sur leur territoire. Pour cela, ils utilisent des cartes qu’ils placent sur le calendrier de production et la carte du territoire.
5. Plan d'adaptation (60 min) : lors de cette dernière étape, les producteurs discutent avec les conseillers des solutions qui pourraient être intégrées dans leurs pratiques à court ou long terme.
A l’issue de cette animation, le conseiller réalise une synthèse du travail, et les actions seront ensuite suivies par l’OP avec l’aide de son conseiller. La prise de photos réelles du paysage au fil du temps peut être utile pour suivre l’impact des solutions adoptées.
« Au début j’appréhendais la question du changement climatique, pensant que cela nécessitait une réflexion et des outils complexes pour y faire face. Je me suis très vite aperçu, grâce à l’animation que la solution était simple et accessible à notre niveau. Avec l’aide des techniciens, nous avons abouti à une proposition de stockage de l’eau de pluie afin de prévenir la saison sèche. Nous avons tous beaucoup apprécié l’animation »

William Denis RAMISIARISON, agriculteur à Merimandroso, région Analamanga, Madagascar
Alexandre BENARD, Conseiller technique Fert à Madagascar.

Les solutions concrètes

Témoignage du groupe Fifata à Madagascar

A Madagascar, le changement climatique est synonyme de difficultés pour les agriculteurs. La gestion d’excès d’eau, d’érosion et de ruissellement en période des pluies ou le manque d’eau en saison sèche sont devenus des problèmes récurrents. Ces situations peuvent mener à des conflits entre producteurs. Les techniciens et producteurs du groupe Fifata ont réfléchi à des solutions techniques inspirées des pratiques paysannes pour faciliter l’accès à l’eau.

Une diversité d’aménagements hydroagricoles

Les agriculteurs malgaches ont à leur disposition un panel de solutions techniques : pour le captage, le pompage et le stockage de l’eau, les bassins de rétention et les puits sont les pratiques les plus demandées et développées. Pour les parcelles les plus proches des cours d’eau, les producteurs ont également recours à des motopompes ou des pompes à pédale. Concernant la distribution de l’eau, des solutions sont en cours d’expérimentation : irrigation goutte-à-goutte, Oyas (pot d’argile rempli d’eau enterré dans le sol près des plantations). Enfin, différents aménagements parcellaires permettent de réduire l’érosion et de maintenir l’humidité des sols : aménagement de bassins-versants, haies vives, cultures sur courbes de niveau, paillage, sont autant de bonnes pratiques largement diffusées pour protéger les sols et maintenir l’humidité.
Aménagement des bassins versants avec des haies vives
Construction d'un bassin de rétention
Aménagement de puits
« Avant, je me réveillais à 4H du matin pour pouvoir irriguer ma parcelle. Le manque d’eau ne me permettait pas d’exploiter toutes mes parcelles et mes rendements diminuaient.
Maintenant, j’ai construit par mes propres moyens 3 bassins de rétention et j’ai adopté les pratiques agroécologiques dans mon champ, je dépense moins de temps et d’argent pour l’arrosage ».

Ravonjiniaina Andriamady Joslyn Arthur, agriculteur à Ampahitrosy, région Analamanga, Madagascar
Clove Noelson RANOMENJANAHARY, Technicien du Groupe Fifata à Madagascar.

Les solutions concrètes

Focus sur l'irrigation pour les maraîchers de l'Urmag
en Côte d'Ivoire

En Côte d’Ivoire, Fert est partenaire de l’Urmag, Union des producteurs maraichers de la région du depuis 2018. Rythmé par les saisons, le marché des produits maraichers (en particulier, tomates, aubergines et gombo) devient très rémunérateur en saison sèche, là où les produits se font les plus rares. Les maraichers de l’Urmag ont donc besoin de pouvoir irriguer leurs cultures en saison sèche.
Traditionnellement, en saison sèche, les producteurs qui se trouvent proche d’un point d’eau arrosent manuellement ou à l’aide d’une motopompe par inondation. Aujourd’hui, la majorité des maraichers de l’Urmag utilise un système d’irrigation dit « californien », c’est-à-dire un tuyau de gros diamètre branché en direct sur la motopompe. Ce système montre des limites avec un temps de travail important (l’irrigation représente alors la moitié du temps de travail sur la parcelle, soit 8h/jour/ha) et une qualité d’irrigation très irrégulière et stressante pour les cultures. Ainsi, de nombreux producteurs s’intéressent aujourd’hui à des systèmes d’irrigation « modernes » adaptés à leurs parcelles et accessibles à des producteurs individuels en termes d’investissement.

Laser spray ou goutte à goutte ? Comparaison de deux systèmes d’irrigation « modernes »

Pour répondre à cette demande, Fert a réalisé en 2022 une étude technique pour comparer deux technologies présentes sur le marché ivoirien : le laser spray et le goutte à goutte. L’objectif de cette étude était de savoir quelle technologie est la plus adaptée aux producteurs maraichers ivoiriens.
  • L’irrigation par goutte à goutte consiste à n’arroser qu’au pied des cultures avec un faible débit lent, elle permet une économie importante, mais ce système est peu adopté car coûteux à l’achat et en entretien, et exigeant en qualité de l’eau ;
  • Le laser spray est le système le plus prisé par les maraichers ; il permet un arrosage régulier et est moins cher que le goutte-à-goutte, mais exige une pression plus importante
En complément de l’étude technique, une étude économique a été réalisée pour comparer les coûts d’investissement et coûts d’utilisation de ces équipements d'irrigation.
Le laser spray est très favorable au producteur. Il est rapide à l’arrosage et très avantageux. Il nous permet un gain de temps important par rapport au système d’irrigation californien. […] En termes de rendement, puisque toutes les plantes sont mouillées, la poussée est bonne. Le laser spray est un des meilleurs systèmes d’irrigation que nous avons en Côte d’Ivoire »

Jumeau, producteur maraicher
en Côte d’Ivoire
Arnaud SOME, Coordinateur Technique Régional Fert en Côte d'Ivoire.

Ressources disponibles

À visionner

Un webinaire a été réalisé sur ce sujet par les équipes Fert et leurs partenaires. Vous pouvez le visionner en intégralité sur notre chaîne Youtube.
Découvrez ou redécouvrez les liens entre l’agriculture et le changement climatique.
Cette vidéo revient sur l’expérience de Madagascar sur la gestion de l’eau.

À lire

Une collection de 5 guides autour de la gestion de l'eau
pour l'agriculture à Madagascar est disponible sur notre site internet.

Pour aller plus loin

Article de l’INRAE : « L’agriculture va-t-elle manquer d’eau ? »
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