Fert Cneap Le Norcy TambourinIl y a quelques semaines, dans le cadre du partenariat qui lie le Cneap aux associations Fert et Fifata, Jean-François Tambourin, agriculteur dans le Pays Basque et Président du Creap Aquitaine et Yvon le Norcy, Secrétaire Général du Cneap de 1990 à 2010, se sont rendus à Madagascar  afin d’accompagner à la fois la structuration des quatre collèges agricoles créés ces 10 dernières années et l’inscription du dispositif collèges dans la Stratégie nationale de formation agricole et rurale.

À JFT : Vous réalisiez pour la première fois une mission à Madagascar dans le cadre du partenariat Fifata – Fert – Cneap, qu’en retenez-vous ?

 Madagascar est un pays qui a de réelles potentialités humaines. Dans le cadre de cette mission, j’ai eu beaucoup de satisfaction à rencontrer des anciens élèves, les directeurs et professeurs du collège, les paysans membres des associations de gestion. J’ai perçu un véritable enthousiasme et de l’engouement pour toute l’amélioration et les possibilités que permet cette offre de formation dans les collèges agricoles.

Malheureusement, la corruption et le manque de dirigeants vertueux est dommageable pour tout le monde.

Fert Cneap Mission Le Norcy TambourinDans le secteur agricole, j’ai pu constater que le travail était encore très manuel ; la bêche, la faucille et le transport en vélo font encore le quotidien des paysans malgaches. Même pour moi qui fais partie de la génération  qui a connu les travaux des champs avec les vaches au joug, j’ai été très surpris que l’agriculture malgache soit encore plus en retard que l’agriculture de mon enfance !

Pour tous les responsables professionnels rencontrés, ou encore les anciens élèves des collèges avec qui nous avons pu échanger, nous avons pu noter la vision et l’analyse très claire de la situation. Un instant, je me serai cru  dans une organisation professionnelle chez moi !

Ce fut une expérience riche de rencontres humaines, très intéressante car j’ai eu accès à beaucoup d’informations dans un temps très court. Par ailleurs, Madagascar est un très beau pays, un pays de contrastes où l’extrême beauté côtoie l’insécurité, le vol généralisé, la grande précarité…

 

À YLN : Vous aviez déjà réalisé des missions à Madagascar dans le cadre du partenariat Fifata – Fert – Cneap. Quelle était la particularité de cette mission de mars 2013 ?

Cette mission se situait à un moment de l’histoire des collèges où il faut prendre des orientations organisationnelles et structurelles. Jusqu’alors, les collèges sont en relation entre eux ; la coordination est pour l’essentiel assurée par Fert aujourd’hui. Désormais, il s’agit de donner à chaque collège une assise associative plus solide et de créer progressivement de la mutualisation, des échanges, une expression commune axée sur un projet partagé entre tous et des services communs. C’est une étape de fédération dans laquelle le projet pédagogique demeure une donnée fondamentale. Il s’agit donc de trouver le moyen pour qu’un bon projet fédéral s’exprime à travers tous les collèges membres.

Dans cette démarche, nous avons rencontré plusieurs types d’acteurs mobilisés dans le réseau : des jeunes élèves tout juste sortis des collèges, vraiment remarquables ; des élèves en cours de formation et leurs formateurs ; des parents d’élèves, paysans modestes, capables de faire 2 jours de marche et de taxi pour venir participer à une réunion avec nous (qui débarquons de l’avion !) ; des personnes engagées, fortement investies dans l’action professionnelle, dans Fifata; des anciens parents d’élèves demeurés dans les associations de gestion des collèges, et bien sûr les coordonnateurs du projet collèges ou d’autres projets accompagnés par Fert.

Ces rencontres ont été de vrais moments de ressourcement pour nous. J’ai une grande estime pour les personnes que nous avons rencontrées. Je rentre ébahi de la richesse humaine de ce pays et presque pleurant devant la difficulté de valoriser cette richesse humaine à cause de contingences humaines locales de tous ordres.

Votre binôme alliait un professionnel agricole engagé dans différentes instances locales et régionales (syndicat agricole, Crédit-Agricole, lycée agricole,…) et un représentant d’un réseau national d’enseignement agricole privé. Qu’avez-vous conseillé à ce jeune réseau de collèges agricoles qui pense désormais, avec Fifata, à se structurer en fédération ?

JFT:

Pour ma part, il s’agissait avant tout de témoigner sur le fonctionnement de notre lycée de St-Jean-Pied-de-Port, d’expliquer comment nous sommes fédérés au niveau régional, comment se prennent les décisions, etc. Nos différents interlocuteurs ont été très attentifs à ces questions.

Avec Yvon le Norcy, nous avons été très complémentaires : lui apportait son expertise sur la mise en place de contenus pédagogiques adaptés, sur le fonctionnement d’une institution de modèle fédératif ; quant à moi, je me présentais avant tout comme un paysan. Je leur ai raconté comment j’ai fait évoluer mon exploitation jusqu’à proposer aujourd’hui de la vente directe à la ferme. Ce furent des échanges très constructifs et je garde aussi un très bon souvenir de notre collaboration avec Yvon Le Norcy.

Nous avons notamment insisté sur l’importance de créer une fédération d’abord pour garantir une bonne reconnaissance de la base,  mais aussi pour mutualiser les connaissances et les moyens. Ce témoignage, très pragmatique et concret, les a séduits. Mais dans leur contexte, la problématique de l’éloignement des collèges les uns des autres, l’état des routes et le peu de moyens de communication est encore un frein important pour permettre de vrais échanges.

 

YLN:

Plutôt que de conseiller, nous avons eu avant tout une posture d’écoute. Nous avons été très impressionnés par la volonté, la compétence et le degré d’engagement des personnes. Nous avons essayé de restituer à nos partenaires malgaches comment nous, dans notre contexte, avions vécu la construction progressive d’une fédération comme le Cneap. Nous avons expliqué les étapes par lesquelles nous étions passés, donné des éléments pour leur permettre de faire des choix dans leur propre contexte.

Nous avons coutume de dire que le Cneap est :

  • Une fédération, c’est-à-dire une représentation de la base avec différents niveaux d’instances, qui est en réalité une « union d’associations », une fédération représentative qui s’exprime au nom des gens qu’elle représente ;
  • Un mouvement, car il faut du militantisme pour faire vivre ce système, pour rechercher le progrès général et faire partager l’intérêt commun ;
  •  Un réseau où chacun apporte ce qu’il sait faire et exprime ce qu’il veut faire, un réseau où chacun s’enrichit de cette diversité qu’apportent les autres.

Fert Cneap Harison Solange Le Norcy Tambourin

Les collèges malgaches pouvaient s’en tenir à cette configuration « réseau », mais un réseau ne s’exprime pas au nom des structures qui y évoluent ; il ne représente personne. Dans une fédération, des représentants sont élus pour porter ce que les membres souhaitent. Dans le contexte de la Stratégie nationale de formation agricole et rurale (SNFAR), il faut prendre des positions ; c’est un enjeu majeur.

 

Au retour de cette mission, et alors que les premiers collèges fêteront prochainement leur 10 ans de fonctionnement, que souhaitez-vous pour l’avenir du réseau des collèges agricoles à Madagascar ?

 JFT:

Je crois que la qualité de la formation dispensée dans ces 4 collèges agricoles, autant théorique que pratique, peut permettre de véritablement faire la preuve de la pertinence de cet enseignement parce que les jeunes formés deviendront certainement de véritables acteurs de développement rural dans leurs localités respectives. Avec encore plus de communication, et plus de mutualisation entre les enseignants et les élèves, il y aura une véritable émulation entre les 4 établissements.

Dans nos échanges avec les institutions malgaches, notamment lors de la Journée d’animation organisée à Antananarivo par le Plan d’action pour le développement rural (PADR) où nous avons témoigné,  on sentait qu’il y avait un plus dans le référentiel pédagogique des collèges et que plusieurs institutions malgaches l’ont déjà bien noté.

Enfin, il reste également au réseau à envisager le défi de l’autonomie financière. Il leur faudra trouver d’autres partenaires financiers pour assurer le fonctionnement des quatre premiers, mieux travailler en réseau et envisager de créer d’autres établissements.

 YLN:

Aujourd’hui, je souhaite 4 choses aux acteurs de ce réseau :

  • Demeurer toujours comme aujourd’hui, préoccupés d’abord de la qualité de la formation des jeunes et de leur insertion professionnelle ;
  • Prendre assez rapidement la mesure du champ de leur responsabilité, notamment du chemin qu’il reste à parcourir pour disposer des moyens de la gestion de leurs collèges. Rechercher comment sortir très progressivement de l’état de perfusion financière dans lequel ils  vivent,  et baliser avec leurs partenaires le chemin à parcourir ;
  • Disposer rapidement d’une stabilité de l’Etat malgache, nécessaire pour la pérennité des partenariats avec Fert et Fifata, et pour leur positionnement dans la SNFAR ;
  • Développer le maillage territorial par des collèges agricoles. A 4, ils sont importants, à 10 ils seront incontournables. Le modèle pédagogique qu’ils ont créé sera ainsi plus solide et plus tonique, et leur fédération pèsera davantage dans les choix de l’Etat en matière de formation agricole et rurale.

Actuellement, 80 jeunes sortent chaque année des collèges, avec 10 collèges, il en sortira 250 ou 300. Mais il ne suffira pas de les multiplier pour que le système soit pérennisé et que le besoin de formation des paysans malgaches soit satisfait.

Il faut sans doute intégrer dans le projet de chaque jeune sortant des collèges le fait de devenir « acteur de développement ». Cela passe par un projet explicite de coordination entre les collèges, les coordinateurs régionaux qui accompagnent les jeunes dans leur insertion et les personnes qui passent par le Ceffel, quel que soit leur activité. Tous représentent un réseau de diffusion, de vulgarisation du projet et peuvent être des agents démultiplicateurs. Ils peuvent être accompagnés, associés et reconnus par les organisations professionnelles. Outre la construction statutaire d’une fédération des collèges, qui est indispensable à leurs yeux, pourquoi ne pas commencer par ces mises en synergie d’acteurs du progrès collectif?

 

« Il n’y a pas d’unité possible qui ne respecte la diversité ; il n’y a pas de diversité viable pacifiquement qui ne soit en quête d’unité ». Edgar Pisani, 2006.
 Pour moi c’est une sorte de principe de vie. A Madagascar, où les initiatives de formation sont multiformes, il pourrait être tentant de les uniformiser (1 référentiel, 1 bailleur, 1 type de structure de formation…) ; pourtant cela signerait l’appauvrissement et peut-être la stérilisation des initiatives. On peut coexister sans se confondre, et cela donne du goût aux projets : l’un est l’huile, l’autre le vinaigre, on ne peut les mélanger, mais ils peuvent se compléter pour faire une bonne vinaigrette ! Il faut sans doute une vision unique de l’objectif de formation mais les moyens pour y parvenir peuvent être différents. Ils le sont déjà et il serait heureux qu’ils le demeurent.

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